Images de l’édition théâtrale
Écrit par Guillermo Pisani
6 juillet 2005

Entretien avec Astrid Cathala
Collection L’Oeil du Souffleur

L’Archange Minotaure est une maison d’édition qui existe depuis quatre ans et qui édite des livres d’écrivains voyageurs, de littérature du XIXe siècle, d’orientalisme, d’art et d’histoire, entre autres. Depuis un an, elle compte aussi avec une collection de théâtre, L’Oeil du souffleur, grâce à la passion et au dévouement d’Astrid Cathala, comédienne et metteur en scène, fondatrice et directrice de la collection. Avec deux livres déjà édités et d’autres en préparation, Astrid Cathala se propose d’obtenir une édition soignée et d’associer à chaque texte contemporain des images d’un autre artiste, dessinateur, scénographe, photographe ou peintre, pour permettre au lecteur de plonger plus facilement dans l‘œuvre. En plus d’être une très bonne nouvelle pour l’activité théâtrale, la création d’une collection dédiée exclusivement au théâtre contemporain est une aventure difficile qu’Astrid Cathala entreprend avec enthousiasme et beaucoup d’énergie. Nous la rencontrons au 3e Salon de l’Édition Théâtrale, à la Foire Saint-Germain – où la toute jeune collection se fait une petite place dans le stand de L‘Entretemps – avec l’auteur Julie Ménard, toute jeune aussi et l’une des premières à être publiée dans L’Oeil du souffleur, pour qu’elle nous raconte son expérience d’édition.

Les pièces de Joseph Vebret et de Julie Ménard sont très différentes l’une de l’autre. Pourquoi avez-vous choisi de commencer par ces deux auteurs-là ?

Les deux ouvrages que nous avons publiés pour l’instant sont, en effet, différents. En Absence, de Joseph Vebret, écrivain déjà confirmé, est une pièce d’une dramaturgie assez classique. L’autre, Une blessure trop près du soleil, première pièce de Julie Ménard, est un texte court, dense et onirique, avec une écriture beaucoup plus contemporaine. Ces pièces me permettaient dès le départ de donner une vision assez éclectique de la collection. Je n’avais pas envie d’entrer dans un genre. Le troisième ouvrage, par exemple, qui va paraître en novembre, Apoplexification à l’aide de la râpe à noix de muscade, de l’auteur et metteur en scène Frédéric Ferrer, a la forme d’une fausse conférence. Ces ouvrages donnent donc déjà une idée de l’ouverture de la collection. Je n’ai pas du tout envie d’avoir une seule vision sur le théâtre. J’essaie de donner des matières à jouer aux metteurs en scène et aux acteurs, qui puissent correspondre à toute la globalité du théâtre.

Vous concevez l’édition théâtrale comme un support pour l’art vivant plutôt qu’en tant que littérature ?
C’est un peu les deux. L’écriture est au centre. Au théâtre, il y a d’abord un auteur, sans qui l’acteur ne peut jouer ni le metteur en scène monter la pièce. J’ai envie de soutenir l’auteur. Il y a beaucoup d’auteurs qui écrivent et qui ne sont pas joués. Pour qu’ils soient joués, il faut qu’on puisse les lire. Avoir leur livre édité leur permet aussi d’obtenir une vraie crédibilité par rapport à leur travail. Depuis une dizaine d’années, j’ai envie de rassembler les auteurs, les metteurs en scène et les acteurs, et en partant maintenant de l’écriture et de l’édition, j’ai l’impression de pouvoir poser la première pierre d’une longue aventure.

Comment faites-vous pour trouver vos auteurs ?
Cela passe d’abord par des rencontres, je me sers du réseau que j’ai déjà en tant que comédienne et metteur en scène pour découvrir des textes. Puis, je reçois des manuscrits. La Fondation Beaumarchais, qui offre des aides à l’écriture, m’en envoie quelques-uns. Et une fois qu’on édite des textes, on reçoit aussi des manuscrits sans même aller les chercher. Je me rends compte, par ailleurs, qu’il y a des associations et des institutions, je pense par exemple à l’EAT (Écrivains Associés du Théâtre), qui constituent un vivier de jeunes auteurs à explorer. Ensuite, c’est moi d’abord qui lis les textes. J’essaie d’être objective sur l’appréciation de leur qualité. Parfois, je les fais lire, pour avoir d’autres avis. Mais j’agis en fonction de ce que je ressens.

Quels sont vos prochains projets ?
Le troisième titre arrive en novembre. Puis, pour l’instant on s’est donné avec Jean-Michel Cornu, directeur de L’Archange Minotaure, l’objectif d’éditer trois ou quatre ouvrages par an, ce qui est déjà pas mal pour une collection que nous voulons de qualité. Il faut que l’objet livre lui-même soit beau à voir et à tenir en main.

Comment vous placez-vous par rapport aux grandes et moyennes maisons d’édition ?
Ce que font les autres maisons d’édition est un magnifique travail aussi. Plus on va soutenir les écritures contemporaines de théâtre, mieux c’est. Il n’y a aucune concurrence à faire. Là où nous avons un profil un peu différent d’eux c’est dans le fait de ne pas livrer seulement un texte de théâtre, mais d’essayer aussi d’associer d’autres artistes qui vont illustrer le texte par la photo, par le dessin, par les esquisses de costumes, et ça c’est un peu nouveau. J’essaie aussi d’amener tous ces textes aux metteurs en scène et aux acteurs et de les accompagner jusqu’à la fin, parce que c’est vrai qu’un texte qui n’est pas joué reste à moitié en vie.

Comment allez-vous à la rencontre de votre public ?
Nous essayons de créer des pôles de rencontres. Un salon comme celui-ci nous permet de rencontrer du monde et de commencer à nous faire connaître du public. Puis il y a aussi l’organisation de lectures, des signatures dans les librairies… et tout le travail que je fais autour pour faire connaître les auteurs.

Une blessure trop près du soleil est l’une des deux premières pièces éditées. D’une écriture délicate et d’une sagesse rare, le texte est plein de poésie en étant en même temps très théâtral.


Julie Ménard : Une blessure trop près du soleil est mon tout premier texte. Je suis comédienne, j’ai travaillé dernièrement avec Christian Benedetti, participant à son atelier et jouant dans sa mise en scène de L‘Amérique, suite, de Biljana Srbljanovic. Je commence juste, j‘ai vingt et un ans. En écrivant, j’ai pensé complètement à la scène. Je voulais faire apparaître un univers complet dans un lieu clos, où puisse entrer aussi le rêve. Astrid a connu ma pièce grâce à un ami et nous nous sommes rencontrées. Quand il a été question de l‘éditer, étant très jeune et puisque c’est mon premier texte, j’avais au début un peu peur qu’on me demande de changer certaines choses. Mais le texte a été complètement respecté pour l’édition. Astrid Cathala m’a fait confiance et m’a laissé une liberté absolue.

Astrid Cathala : Pour la pièce de Julie, j’ai écrit une préface où je donne un peu mon sentiment par rapport à la pièce et je propose aussi une clé pour sa lecture. S’agissant d’une écriture contemporaine, une écriture qui n’a pas une forme classique, je voulais, à travers la préface, permettre au lecteur de l’aborder d’une façon plus simple et directe. J’avais envie aussi d’accompagner ce texte jusqu’au bout, dans l’édition.

Quelles sont les difficultés que rencontre une jeune collection de théâtre ?
L’édition théâtrale est malheureusement toujours difficile pour les maisons d’édition. Je pense que les grandes maisons d’édition confirmées s’en sortent évidemment plus facilement. Pour le reste c’est très difficile. On n’a pas, en France, la culture de la lecture et encore moins de la lecture de théâtre, absolument pas. Si je pouvais éditer les livres en relief, je le ferais. Parce qu’il y une façon particulière de lire le théâtre qu’on n’apprend pas à l’école. Quand on lit du théâtre, il faut pouvoir soi-même mettre en scène le texte, le voir, et ce n’est malheureusement pas l’école qui nous l’enseigne. Il y a donc un vrai travail de fond à faire, en amont de l’édition théâtrale, pour atteindre un public toujours plus large. Nous souffrons d’ailleurs des mêmes difficultés que celles du marché du livre, liées à une logique de produit et de consommation rapide. Les livres, même les romans, sont renvoyés très vite à l’éditeur. Pour les petites maisons d’édition, le problème est en plus de pouvoir être présentes et visibles chez les libraires, et d’y rester suffisamment longtemps. Nous ne pouvons pas, évidemment, éditer des livres de théâtre à des milliers d‘exemplaires. C‘est une petite production, et même sur une petite production, il y a beaucoup de retour. Alors, il faut vraiment s’accrocher. Pour ces deux premiers livres le tirage est de cinq cents exemplaires, pour l’instant. Nous avons été soutenus par une subvention du Centre National du Livre, que je remercie. Ça nous encourage.

Vous ne travaillez pas avec les théâtres ?
Pas encore. Mon projet est d’arriver à une collaboration avec un théâtre qui aurait un comité de lecture et de travailler sur l’édition d’un texte par an qui sorte de chez eux. Il serait vraiment extraordinaire de pouvoir s’intégrer à un théâtre.

Votre travail s’arrête avec l’édition de la pièce ?
Non. Je veux aller jusqu’au bout. Je me sers de mon métier de comédienne, j’ai la chance de pouvoir jouer, et j’ai des gens qui me soutiennent dans la mise en scène aussi. Alors je profite de mes amis pour essayer de faire en sorte que tous se rejoignent, de créer une vraie toile d’araignée, dans le bon sens. Je crois qu’il faut surmonter la dispersion propre à nos métiers et qu’il vaut mieux rassembler les talents et les énergies.

Guillermo Pisani